lundi 21 juin 2010

Du vague à l’âme du formateur

Lettre d'un enseignant formateur (désolée c'est long mais je ne parviens pas à couper, tout est intéressant) :

"Instituteur puis PE depuis une vingtaine d’année, je suis depuis 6 ans PEMF, spécificité professionnelle que j’ai exercée cinq ans après l’obtention du CAFIPEMF dans lamême école qui avait vu naître les prémices de notre pédagogie car mes collègues ayant aussiréussi ce passage obligé, l’école est devenue école d’application. Après 10 ans de carrièreenviron, j’arrivais enfin à prendre du recul sur ma pratique professionnelle, aidé, il est vrai, parl’ensemble des collègues de l’école. Six années durant, j’ai essayé de participer à la construction de l’identitéprofessionnelle de plusieurs collègues lors de stages, d’interventions à l’IUFM, de visiteshumblement, modestement, maladroitement même, mais toujours avec une énergie et uneconviction d’un tuteur qui souhaite ardemment la réussite de l’autre. Pendant ces six années,cette spécificité professionnelle a indubitablement fait de moi un autre enseignant. De cetterelation avec tous ces étudiants, ces collègues, c’est certainement moi qui ai le plus appris. A force de défendre des parti-pris, je les ai davantage développés et ai essayé de les mettre plusefficacement en œuvre avec mes élèves. J’ai toujours travaillé avec ces jeunes collègues avecbeaucoup d’humilité — du moins je l’espère — sans considérer que mon statut de formateurfaisait de moi un « penseur unique » de la pédagogie. J’ai vécu intensément ces six années,rencontrant à chaque fois des gens formidables, passionnants et passionnés. Aujourd’hui, je suis à la croisée des chemins et je dois prendre une décision. Face àcette mascarade de formation, dois-je continuer ou bien retourner, comme la majorité decollègues, à plein temps devant mes élèves ?En toute conscience et malgré le manque que cela va me créer, je retourne dans maclasse, abandonnant ainsi mes fonctions de formateur. Nous n’avons plus à démontrer que lafuture formation dans laquelle on nous demande d’intervenir est catastrophique, beaucoupd’experts reconnus ont déjà tout dit. Je ne peux admettre de participer à ce simulacre, decautionner de manière détournée la mort de l’enseignant et par voie de conséquence ladétérioration future de notre école et ses « dommages collatéraux » au niveau de nos élèves.J’entends déjà ici ou là ceux qui diront que le bateau coule et que les rats quittent lenavire. Je partage pleinement ce point de vue, au moins pour le premier terme. Effectivement le bateau coule, nous en sommes tous conscients. Je préfère alors me torpiller, même s’il est vraique le naufrage de ma petite coque de noix ne provoquera pas de remous. Mais imaginez uninstant que nous nous torpillions tous ensemble ; que dans un même élan collectif, le navire seretrouve sans matelot et sans capitaine. Quelle onde de choc cela provoquerait auprès del’opinion publique, des parents, de nos collègues, des MAT ! Car cette fois-ci, ce ne seront pasles “experts” qui expliqueraient avec force que cette formation est une dangerosité extrême pournos élèves, nos enfants, mais les acteurs de terrain, ceux qui depuis des années participent dansleurs classes au quotidien à cette formation ; quel tsunami ! Alors oui, le bateau coule, et vouloir récupérer un misérable canot dans l’espoir de sauver ce qui pourrait l’être est non seulement untantinet prétentieux, mais également vain. L’aspiration sera telle qu’elle nous entraînera assezfacilement dans les abysses. Pour rester dans la métaphore animalière, je préfère nettement être un rat qu’une taupe,petit mammifère connu pour sa myopie légendaire. Comment ne pas voir en effet que nous allons cautionner par notre présence ladestruction d’un nouveau pan de l’école publique via la formation des enseignants ? Après lesnouveaux-vieux programmes comme le dit Pierre Frackowiack, après la mise en place de l’aidepersonnalisée et autre pis-aller faisant croire aux parents que l’enfant/élève reste au cœur dusystème, après des évaluations sans fondement pédagogique et avant la mise en place éminentedes EPEP, jusqu’où sommes-nous prêts à aller dans notre aveuglement manifeste à laisser faire ? Allons-nous continuer indéfiniment à critiquer ces mesures lorsque l’on se retrouve au coind’une table, mais en même temps à les accompagner sous le prétexte fallacieux que sans nous ceserait pire ? Devons-nous toujours travailler dans une logique minimaliste ?Comment ne pas voir encore que ce nouveau pilotage ne nous laissera que très peu demarge de manœuvre et que nous allons devenir de simples exécutants d’une politique deformation que nous réprouvons tous ? Dans ce petit jeu là, nos collègues DEA seront en premièreligne. De moins en moins dans leur école à animer une équipe, mais le pire sans doute : dans cette obligation institutionnelle de loyauté qu’ils auront envers l’IA, de servilité comme aimerait à le dire P. Frackowiack. Qui alors sera en capacité de résister à cela ? Il ne pourra en résulterque des tensions entre nous.Comment ne pas voir encore une fois que cette logique du management du personnelde l’entreprise privée va s’appliquer avec maestria chez nous aussi ? Regardons comment sontpressés les cadres intermédiaires dans une entreprise : le « toujours plus » sera érigé en règle et nos actions se multiplieront, avec des conséquences négatives aussi bien au niveau de notrecapacité à « bien faire » la classe à nos propres élèves, qu’au niveau de la qualité de « l’offre »pour nos futurs collègues en formation. Inévitablement, cela génèrera encore plus de tensions dans les écoles. Comment nos collègues DEA vont-ils pouvoir gérer cela ? Certes, DEA ils ne leresteront plus longtemps car pour l’être faut-il encore que les écoles de formation demeurent. Or le projet de la nouvelle circulaire est très claire : « Il [le PEMF] est titulaire d’un posted’enseignant dans une école. » là où il était auparavant : « […] titulaire d’un poste dans uneécole associé à la formation initiale »(écoles annexes et application). Si le texte reste en l’état,la messe est dite : exit la formation professionnelle, exit les formateurs de terrain. Comment ne pas voir encore et toujours que le nouveau dispositif pour les stagiairespeut réellement mettre nos élèves en difficulté ? Durant les sept premières semaines de l’année,nous allons accueillir dans la Loire et probablement dans d’autres départements, des collègues enformation. La rentrée est pour tout enseignant un moment important de l’année. Il institue saclasse, permet à l’élève de prendre de nouveaux repères, met en œuvre des habitudes defonctionnement, sécurise les plus angoissés tout en cadrant les plus agités. Quelle(s)disponibilité(s) allons-nous avoir pour faire face à tout cela ? Expliquer notre pratique à noscollègues, vous le savez tous, demande du temps et de l’énergie, être sur ces deux fronts à la foisest suicidaire pour tout le monde. Nos élèves n’ont pas à payer pour les dysfonctionnementsfuturs. Comment ne pas voir, enfin, que nous allons connaître un dernier soubresaut, tel lenoyé avant sa mort définitive ? Nous sommes indispensables maintenant, justement parce que les chaloupes ont besoin de regagner la rive, mais une fois fini de le temps de l’accostage, nous finirons tous en simples Robinson. Dans sa logique budgétaire, ne serait-il pas plus rationnel d’utiliser nos collègues MAT plus « économes » ? Là encore, la nouvelle circulaire ne laisseplaner aucun doute sur les nouvelles missions de ces collègues MAT. Ces dernières sont élargies : « […] assurer l’accompagnement et le suivi de stagiaires en responsabilité »,missions qui rappellent étrangement celles dévolues jusqu’à présent aux PEMF jusqu’au jour oùelles se substitueront complètement ! Et tout cela sans structure d’école, sans prime et sansdécharge. J’aurais ô combien aimé que nous puissions d’une même voix porter ce combat-là. Je sais pertinemment qu’une « démission » collective, même nationale, des PEMF n’aurait pasentraîné de facto un changement ministériel sur la formation, mais je pense qu’elle aurait pu aumoins susciter une surprise, un étonnement ou pour le moins une interrogation dans lapopulation. Mais dans tous les cas, pour certains d’entre nous, cela aurait permis de mettre nosactes en phase avec notre pensée. N’oublions jamais, comme le soulignait dernièrement AndréOuzoulias, que même avec la plus grande volonté du monde, il sera difficile de tout reconstruire. Lorsque le ressort est cassé…Ce texte, forcément provocateur mais si proche de la réalité, est là pour vous dire qu’ilest grand temps de sortir de notre torpeur. Pour vous signifier aussi que cette décision m’attriste(je sais ce que je perds) et aussi pour vous signaler que l’on se sent mieux lorsque l’on met ses actes en conformité avec sa pensée. J’ai apprécié et appris aux contacts de tous ceux que j’ai croisés pendant ces six années. Merci."

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire